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La femme entre les deux âges
2017 - 2021
Peintures et dessins réalisés d’après une peinture anonyme de 1575
Il s’agit initialement de deux tableaux qui se trouvent au musée des Beaux arts de Rennes peints par un (ou deux ?) artistes anonymes de l’école de Fontainebleau. Ces deux œuvres faisaient partie du cabinet de curiosités de Monsieur de Robien (1698 – 1756), savant et érudit, Président du Parlement de Rennes. Sur l’un des tableaux la femme est richement habillée entre le jeune et le vieil homme et a fait l’objet de nombreuses reproductions gravées en Europe – plus ou moins fidèles – nommées improprement « La femme entre deux âges » et que Clément découvre enfant en feuilletant avec avidité de vieux dictionnaires du début du 20ème siècle conservés par son grand-père.
Bien plus tard, l’artiste est envoûté quand il découvre à Rennes l’autre tableau où la femme est nue sous un déshabillé transparent. Avec le titre de l’oeuvre enfin restitué : « La femme entre LES deux âges ». Ce qui donne tout son sens au tableau. Une scène avec trois personnages : une jeune femme de trois quart face nue sous un voile transparent mais parée de bijoux, flanquée à sa gauche d’un vieillard, à sa droite d’un jeune élégant qui l’enlace.
Le jeune homme très élégant et empanaché serre la femme de très près ; le vieil homme un peu hagard, tout de rouge vêtu, drapé dans une longue cape noire, semble montrer du doigt l’objet de son désir alors que la jeune femme vient tout juste de lui subtiliser ses bésicles quelle tient entre le pouce et l’index. L’attitude des protagonistes est identique dans les deux peintures dont le décor est sommairement esquissé. En 1925 l’historien Raymond Lebègue notait, à propos de l’oeuvre , dont il fut peut-être le premier à restituer le titre d’origine : « la femme entre les deux âges », « son visage présente le type conventionnel de la beauté féminine que les poètes de la Renaissance ont célébré et que les artistes ont souvent reproduit : cheveux blonds et crépelés, front découvert, traits délicats, expression un peu fade ; toutefois ses formes sont plus pleines (sic!) que celles des dianes et autres déesses modelées par Jean Goujon ». Il remarque « que le vieillard porte un costume de juge du XVIème siècle : une simarre rouge serrée à la taille dont une fente laisse entrevoir une chemise, ainsi qu’une houppelande bordée d’hermine ».
Or il s’avère que le barbon porte le costume de l’un des plus représentatifs acteurs de la Commedia del arte Pantalon, riche vénitien, vieillard avare, crédule, libertin, méticuleux que la peinture manièriste a souvent ridiculisé. La femme entre les deux âges c’est une « pantalonnade » non sans ressemblance avec un tableau de François Bunel le Jeune (Blois 1522 – Paris 1595 ou 1599?) qui a pour titre : « Acteurs de la Commedia del arte ». Une copie de ce tableau se trouve au musée Fayet de Béziers (l’original a disparu...).
On découvre au centre de la toile Pantalon chahuté par les autres acteurs . Scaramouche lui tire la barbichette, un autre lui fait les cornes, tous essaient de le détourner de la scène qui se passe dans son dos mais Pantalon, furieux, n’est pas complètement dupe ; ça gesticule et ça braille tandis que sous l’oeil attentif et intéressé d’une suivante une jeune femme vêtue d’une robe à vertugadin dont le décolleté laisse ses deux seins dénudés est enlacée par un jeune élégant à la fraise empesée qui lui tend un petit billet quelle saisit prestement entre le pouce et l’index, son attitude très voisine de celle de « La femme entre les deux âges ».
Certains spécialistes n‘hésitent pas à attribuer « la femme entre les deux âges » à François Bunel. L’anonymat à propos de ce tableau ambigu pourrait s’expliquer car F. Bunel était le peintre « officiel » d’Henri III de Navarre qui devint roi de France sous le nom d’Henri IV dont il a peint plusieurs portraits.
Clément parle « d’interprétation fantasmée » à propos de sa vision de la femme entre les deux âges, tableau maniériste anonyme de l’école de Fontainebleau. Ses premières études sur papier en sont presque des reproductions ; ensuite, l’artiste dénude peu à peu les personnages jusqu’à la phase ultime où le désir rejoint la Mort. La femme mi-catin mi Camarde est enlacée par un écorché en érection, le vieillard débraguetté exhibe un pénis érigé mollement, le regard perdu, il pointe de son index le pubis de la jeune femme.
Les interrogations concernant « la femme entre les deux âges » en sont-elle évacuées pour autant?
Comment se fait-il que le pouvoir d’attraction de cette œuvre demeure?
Le désir, comme suspendu, jamais assouvi peut-être?
Gabriel Duplantain
Août 2024